En juillet 2020, le gouvernement lançait une "expérimentation" de la cour criminelle, c'est à dire une Cour d'assises sans jurés populaires. L' "expérimentation" devait durer trois ans.
En avril 2021, l'un des plus grands avocats d'assises, devenu garde des Sceaux, portait un projet généralisant cette cour criminelle à la moitié des crimes et deux tiers des crimes sexuels.
Un tel projet ne peut être soutenu.
Le bilan du ministère est le suivant:
"Au terme de onze mois d’expérimentation, les premiers éléments de bilan issus des juridictions s’avèrent positifs pour les départements déjà dotés de cours criminelles (les Ardennes, le Calvados, le Cher, La Réunion, la Moselle, la Seine-Maritime, les Yvelines, l’Hérault et les Pyrénées-Atlantiques).
A fin juillet 2020, sur les 57 affaires jugées en cours criminelles concernant 67 accusés, 13 accusés ont fait appel de la décision de condamnation et il y a eu un appel du ministère public.
Le taux d’appel des accusés en l’état des décisions rendues par les cours criminelles est donc de 21%, ce qui est inférieur au taux d’appel des décisions rendues en première instance aux assises qui est de 32%.
91 % des affaires jugées en cours criminelles ont concerné des viols simples ou aggravés."
Il est frappant de constater que le bilan est uniquement numérique, et que l'on ose dégager des statistiques à partir de 57 affaires. A partir de 57 affaires, on nous explique que le taux d'appel est inférieur à la norme aux assises - ce qui serait un gage de qualité ?
Il est d'abord intéressant de noter que les taux sont erronés. Treize appels sur 57 affaires, cela fait non pas 21% mais 22,8%. La différence entre la norme et la cour criminelle n'est donc plus de 11% mais de 9%.
9% de 57, cela fait 5 dossiers.
Alors, si l'on veut rentrer dans cette logique numérique, la question qui se pose est la suivante : la suppression des Cours d'assises vaut-elle ces 9% ?
L'union syndicale des magistrats est claire : " A ce stade de l’expérimentation, l’USM estime qu’elle n’est pas en mesure de se prononcer sur une éventuelle généralisation des cours criminelles départementales. "
Le syndicat de la magistrature émet les mêmes réserves : "Nous avons toutes les raisons de redouter que malgré ces débuts, nos craintes s’avèrent fondées : parce que les juridictions expérimentatrices ont eu à coeur de démontrer leur sérieux, mais également parce que l’expérimentation fut trop brève pour que les mauvaises habitudes ne puissent s’installer. Nous redoutons que l’insuffisance de moyens et les stocks accumulés ne conduisent de manière certaine à une accélération du temps, et quelques premiers indices commencent à apparaître. Certains parquets généraux incitent d’ores et déjà à limiter dans leurs réquisitoires définitifs la liste des témoins et experts pour accélérer la cadence. Le recours aux magistrats à titre temporaire et aux magistrats à titre honoraire en qualité d’assesseurs s’est imposé presque partout."
Car quel est le fond du débat ?
Au niveau du ministère, le raisonnement est statistique. A budget constant, réduisons le stock de dossiers, et diminuons le nombre de dossiers en appel.
Au niveau des magistrats et des avocats, un tel raisonnement nous apparaît inepte. La qualité de la justice ne peut se réduire à des statistiques. Peu importe que la Cour d'assises coûte cher. Nous n'acceptons pas qu'un accusé qui encourt vingt ans de réclusion criminelle soit considéré comme un dossier en attente. Nous n'acceptons pas de sabrer l'oralité des débats, de diminuer le temps consacré à son procès, tout ça parce que l'Etat refuse de prévoir le budget nécessaire.
L'Histoire est composée de miroirs.
Il y a vingt ans, un avocat s'opposait à la toute puissance d'un magistrat, seul juge d'instruction en charge du dossier. C'était Outreau. C'était Dupond-Moretti. L'ensemble des accusés étaient acquittés par la Cour d'assises. Les jurés contribuaient à équilibrer la balance judiciaire.
Aujourd'hui, cet avocat qui se réjouissait de la magie des assises est en train d'en devenir le fossoyeur.
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